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Diplo Web- le 1er juin 2014
Alors que l’on parle depuis plusieurs années d’un rééquilibrage de l’ordre mondial, le Diploweb.com juge nécessaire de donner la parole aux principaux émergents.
Au travers cette série de publications rédigées par des diplomates de ces pays, nous souhaitons faire découvrir le point de vue des principaux intéressés à propos de ce changement de paradigme.
Le premier article, consacré au Brésil, est rédigé par le diplomate brésilien Hélio Franchini Neto.
LE BRESIL, en raison de ses dimensions et de son développement récent, est devenu l’objet d’une attention croissante sur le plan international. Le pays est l’un des nouveaux émergents des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).
La présence croissante de ces puissances est parfois interprétée comme un élément d’incertitude pour le système international, du fait qu’elles défendent une reformulation de l’ordre existant.
Le traitement des questions internationales à partir de l’image des « BRICS », néanmoins, entraîne le risque d’homogénéiser des pays distincts. Il faut, ainsi, se tourner vers chacun de ces BRICS, avec ses caractéristiques, intérêts et stratégies particuliers, déterminés à partir de son histoire, de sa géographie et de ses ambitions.
L’objectif de cet article est de présenter un aspect de ces particularités concernant le Brésil : sa politique étrangère, dont les fondements peuvent être décrits à partir de trois éléments, un objectif, une circonstance et une tradition.
La permanence d’un objectif : le développement
Le développement économique et social du Brésil, fondé sur une idée d’autonomie dans la prise de décisions, reste la pierre de touche de la politique et de l’économie brésiliennes. Comme l’a exprimé le ministre des Relations extérieures brésilien, Luiz Alberto Figueiredo Machado, « les transformations accélérées du monde et du Brésil exigent une politique étrangère qui soit capable d’identifier et de tirer profit des nouvelles tendances internationales, toujours avec l’objectif majeur de développer le Brésil.
Je ne peux concevoir la politique étrangère qu’en tant que partie intégrante d’un projet plus large de développement économique, social et institutionnel de notre pays ».
Selon les projections de l’Economist Intelligence Unit(EIU), le Brésil deviendra en 2030 la quatrième économie du monde, gagnant trois positions par rapport à son septième rang aujourd’hui.
Avec un territoire vaste, le pays dispose de ressources naturelles et minérales abondantes qui, à l’avenir, pourraient se raréfier dans d’autres régions (par exemple : l’eau, le pétrole ou les terres rares).
Depuis les années 1990, le pays a sensiblement avancé dans la modernisation de son économie et le développement de programmes d’inclusion sociale. C’est une démocratie consolidée depuis les années 1980, aujourd’hui mûre, avec une Constitution adoptée en 1988 qui défend largement les droits et les garanties fondamentaux.
Le pays partage nombre de valeurs dites occidentales, assimilées à travers une formation historique qui a été le résultat de la fusion culturelle de populations indigènes, de vagues successives d’immigrants européens et d’esclaves africains.
D’un autre côté, il reste des défis importants et centraux pour l’État et la société brésilienne. Le pays est encore classé au 85e rang de l’Indice de développement humain des Nations unies, avec des faiblesses qui doivent être dépassées dans les domaines de la santé et de l’éducation.
Des goulets d’étranglement liés à l’infrastructure et à l’efficience productive persistent. Le pays doit aussi franchir une étape qui lui permette d’arriver à des niveaux d’innovation technologique avancés. Ainsi, la nécessité pour le Brésil de continuer à se consacrer, sur tous les plans, à son projet de développement économique et social demeure.
Comme l’a souligné le ministre brésilien, l’action extérieure brésilienne s’insère dans cette concentration sur le développement national, dépendant à son tour d’une situation internationale stable qui facilite la recherche de partenaires.
Ce que l’on peut observer dans les actions extérieures des autorités brésiliennes traduit exactement les besoins et intérêts du pays à affirmer une volonté d’influer dans l’organisation d’une nouvelle dynamique internationale qui favorise son objectif majeur.
D’où l’intense activité, dans les dix dernières années, de la diplomatie brésilienne, qui ne se limite pas à des thèmes spécifiques ou géographiquement déterminés. On note dans l’activisme extérieur brésilien précisément l’intérêt à agir en tant qu’acteur mondial, intégré dans les débats sur les principaux sujets de l’agenda international.
Une circonstance géographique
L’action extérieure brésilienne se déploie, dans le même temps, à partir d’une circonstance historique et géographique : l’Amérique du Sud et l’Atlantique Sud. En partageant des valeurs et des défis, la région offre des occasions favorables de développement économique et social, dans laquelle tous tirent profit de ce gain d’échelle.
Dans le Mercosur et l’UNASUR, ainsi que dans d’autres cadres, le discours brésilien est qu’une éventuelle diversité de stratégies économiques et politiques n’empêche pas la coopération. Il en est de même pour l’Amérique latine dans son ensemble, un deuxième cercle stratégique régional, aujourd’hui représenté par la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (CELAC).
L’Atlantique Sud est l’autre côté de cette frontière brésilienne. C’est sur cet océan que circule la plus grande partie du commerce extérieur brésilien. Depuis son plateau continental vient également presque toute la production de pétrole du pays, qui augmentera une fois qu’aura débuté l’exploitation des grands gisements du « pré-sel ».
La protection de cette zone est au cœur, par exemple, de l’initiative de pays sud-américains et de l’ouest africain de créer, dès les années 1980, une Zone de paix et de coopération de l’Atlantique Sud (ZOPACAS). La dimension sud-atlantique encourage, de plus, le rapprochement du Brésil et de l’Afrique, continent auquel il est aussi attaché par des liens historiques et culturels.
Les dimensions sud-américaine/sud-atlantique et celle de pays en voie de développement déterminent le point de départ de la politique étrangère brésilienne. C’est en fonction de cette perspective que les autres priorités établies sur les plans bilatéral, régional et multilatéral se définissent.
Le stade actuel de développement brésilien dépend du commerce et d’autres initiatives à ces trois niveaux. Il pousse aussi à demander une réforme des institutions de gouvernance internationales, comme le Conseil de sécurité des Nations unies, qui découlent d’une autre conjoncture internationale et qui, aujourd’hui, font face à un manque de représentativité.
Pour être plus efficaces, ces mécanismes multilatéraux doivent être revus.
Ce qui peut être perçu dans l’action brésilienne est la traduction de ce principe d’autonomie dans la recherche de la multiplication et de la diversification des relations, de façon à éviter la dépendance à un seul pays ou petit groupe de pays.
Les politiques de coopération sud-sud ne sont pas pour autant en contradiction avec les alliances traditionnelles. Dans la presse internationale, on peut souvent percevoir cette confusion entre une telle diversification et une position qui pourrait être considérée comme « anti-occidentale ».
Si c’était le cas, ces initiatives iraient en sens inverse à la stratégie même de la politique étrangère brésilienne, d’élargir les échanges avec le monde entier, afin de donner plus d’élan au développement national.
Une tradition : la diplomatie brésilienne
Le ministère des Relations extérieures du Brésil est une institution qui a développé une forte tradition diplomatique, notamment à partir du mandat du Baron de Rio Branco (1902-1912), considéré comme le « patron » de la diplomatie brésilienne.
Grâce à Rio Branco et à d’autres hommes d’État, le mouvement de consolidation des frontières brésiliennes, élément fondamental de la politique étrangère de tout pays, s’est fait par des moyens exclusivement pacifiques, et à partir de l’action diplomatique, par le biais de l’arbitrage ou de la négociation directe.
Cette particularité a permis à la diplomatie brésilienne de s’affirmer comme l’une des plus respectée parmi ses homologues internationaux, et au Brésil de se projeter comme un acteur dont l’insertion internationale est de nature essentiellement pacifique.
La diplomatie brésilienne – qui vise le développement et le positionnement du pays en tant que « global player » – a connu, au cours de la dernière décennie, une forte croissance de sa présence internationale, que ce soit sur le plan thématique, comme dans le cadre de conférences internationales sur l’environnement, telles que Rio+20 (en 2012), ou dans l’expansion de ses relations bilatérales.
Aujourd’hui, le Brésil entretient des relations diplomatiques avec tous les États présents aux Nations unies. Son réseau diplomatique s’est étendu, et comportait, en 2011, 226 postes, avec 138 ambassades, 13 missions, 3 bureaux, 7 consulats, 54 consulats-généraux et 11 vice-consulats.
En Afrique – continent sur lequel la présence brésilienne, par le biais d’organismes du gouvernement et d’acteurs du secteur privé, a considérablement augmenté – le nombre d’ambassades permanentes du Brésil est passé de 17 en 2002 à 37 en 2011.
Cette présence accrue exige, en même temps, davantage d’efficacité et de cohésion, qui impliquent à leur tour la modernisation des processus décisionnels. La politique étrangère et la diplomatie brésilienne ne se soustraient pas au contexte actuel dans lequel tous les pays du monde tiennent le rôle de leurs structures diplomatiques.
De plus, la diplomatie brésilienne traverse un moment délicat, alors qu’elle se transforme en politique publique plus ouverte et participative, dans les limites possibles pour l’exercice de la politique étrangère. Selon le ministre brésilien lui-même, « le dialogue avec les interlocuteurs les plus diverses du pays devient un élément essentiel de l’activité diplomatique. »
Ce processus de dialogue et de réflexion doit aboutir en 2014 à l’élaboration d’unLivre Blanc sur la politique étrangère brésilienne. Le document définira les principes et axes de l’action extérieure du Brésil pour les prochaines années, et servira également de référence pour le débat public qui sera nécessaire à l’adaptation de la diplomatie nationale à une réalité internationale plus incertaine, exigeante, et en mutation rapide.
Conclusion
Au cours des dernières années, les initiatives sud-sud dans les différents domaines de la politique étrangère brésilienne se sont avérées être des compléments indispensables aux relations avec les partenaires traditionnels.
Avec elles, les compositions telles que les BRICS se sont transformées en occasions pour éliminer les goulets d’étranglement du système international actuel. Cependant, reformuler l’ordre actuel ne signifie pas, comme on peut l’observer dans les déclarations des autorités brésiliennes, une attaque contre les États qui composent le centre du pouvoir international actuel.
Le développement brésilien ne peut être atteint qu’avec une large coopération, entre tous les acteurs internationaux, sur la construction d’un système plus inclusif et pacifique.
Avec une longue histoire d’action diplomatique et une posture internationale active, le Brésil ne connait aucun conflit militaire avec ses voisins depuis plus de 140 ans.
Ainsi, les caractéristiques principales du point de départ de l’action extérieure brésilienne sont le projet de développement du pays, sa dimension sud-américaine et sud-atlantique, son dispositif diplomatique qui cherche à se moderniser et à augmenter la présence du Brésil sur le plan international.
Hélio Franchini Neto
Diplomate brésilien, actuellement en poste à l’ambassade du Brésil à Paris. Hélio Franchini Neto est titulaire d’un master recherche en Sciences politiques de l’Université de São Paulo et poursuit un doctorat en histoire à l’Université de Brasilia.
Il a participé à la 65e Session nationale « Politique de défense » de l’Institut des Hautes études de défense nationale français (IHEDN). Le présent article est le reflet des opinions personnelles de l’auteur et ne cherche pas à représenter les positions officielles du gouvernement brésilien.
fonte: Diplo Web
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