Comment les Anglo-Américains comprennent la mondialisation et voient le monde ?
Diplo Web
, le 4 octobre 2014
En France, la mondialisation est centrée sur le principe d’une continuité historique. Ce monde est certes post-colonial et urbanisé mais il n’enregistre pas de rupture. Alors que pour les Anglo-Américains, la phase historique que l’humanité traverse est considérée comme un processus inédit
Le Diploweb.com est heureux de vous présenter cet article inédit dans le cadre de son partenariat avec le 25ème Festival International de Géographie : "Habiter la Terre", 3-5 octobre 2014, Saint-Dié-des-Vosges. Cette note se veut une synthèse de la conférence donnée ce 4 octobre 2014 au Festival International de St Dié.
L’ANALYSE part du principe qu’observer et évoquer le monde et la mondialisation ne peut se passer d’une représentation de l’anglosphère comme l’indique l’entrée du même mot qui figure dans le Dictionnaire critique de la mondialisation.
L’anglosphère fait référence au monde anglophone et désigne ainsi les pays dont l’histoire, la culture et l’organisation sociale ont été fortement marquées par la colonisation britannique.
Les contours de ce monde anglophone peuvent certes varier d’un auteur à un autre mais ils incluent généralement les Etats-Unis. Aussi il ne s’agit pas ici de traiter la manière dont les récits sur l’anglosphère parlent du monde mais plus précisément comment les Anglo-Américains appréhendent la mondialisation et de ce fait le monde.
Le premier constat que l’on peut faire en comparant notre contexte au contexte anglo-américain revient à dire qu’en français nous utilisons deux termes pour évoquer les évolutions contemporaines alors que les Anglo-Américains n’utilisent qu’un seul.
Nous parlons de mondialisation et de globalisation alors qu’ils ne parlent que de globalization. Il est possible dans un premier temps d’attester de la richesse de la langue française -puisqu’elle véhicule deux termes - et de remettre en cause l’affirmation souvent péremptoire de l’intrusion d’un anglicisme.
Ce positionnement permet d’expliciter les nuances entre ces deux termes et d’en déduire ce qui nous distingue des Anglo-Américains et ce que nous avons en commun.
La mondialisation est comprise comme un processus multidimensionnel concernant différents aspects de la vie des individus et des institutions. Elle concerne le registre économique, social, culturel et environnemental et de ce fait interpelle différentes disciplines sans oublier les sciences de la communication.
La reconnaissance de ce caractère multidimensionnel a permis d’attribuer le pluriel à la première édition du dictionnaire (2006) intitulé Dictionnaire des mondialisations.
Nombreux sont toutefois ceux qui estiment que l’usage de globalisation est surtout centré sur le volet économique alors que mondialisation cernerait plus les dimensions sociale et culturelle.
La mondialisation évoque aussi l’avènement du territoire-monde comme l’écrit Christian Grataloup dans ses ouvrages et dans l’entrée et l’essai qu’il a rédigés pour le dictionnaire.
Le monde serait perçu comme un territoire alors que jusqu’ici le terme a été principalement associé à celui d’Etat-nation, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le politologue Bertrand Badie.
En d’autres termes avec la mondialisation il convient de penser aussi bien le monde que notre insertion en tant qu’individu ou nation. Dans la même perspective, Clarisse Didelon mène ainsi une étude sur les représentations du monde que se font les étudiants internationaux (qui ont choisi de faire des études dans des universités autres que celles de leur pays).
Avec le territoire-monde, il est également question de quête identitaire pour dépasser la seule référence au national. Ce qui autorise Jacques Lévy à faire référence à la société monde. Ce point de vue est largement partagé par les spécialistes d’Internet en France comme aux Etats-Unis. L’image du village planétaire fait son chemin dans les esprits même si elle peut être critiquée dans la mesure où elle relèverait plutôt d’un déterminisme technologique ou d’une simple utopie.
Aussi si en France le terme mondialisation permet de conduire aisément à une représentation du monde. Il n’en est pas de même pour globalizationchez les Anglo-Américains.
En suivant le principe du global, les Anglo-Américains font d’abord référence à la révolution numérique autorisant les acteurs (individus ou entreprises) indépendamment de leur localisation géographique de communiquer et de « coordonner leur action en temps réel ».
Ce qui représenterait un caractère pratiquement inédit. Globalization évoque également l’idée d’un renforcement du transnational compte tenu de l’intensification des flux d’échanges qu’ils relèvent du matériel (produits, marchandises, voyageurs) ou de l’immatériel (information, connaissance, capitaux) alors que mondialisation ne l’évoque pas vraiment.
Le global indique également l’émergence de nouveaux acteurs dits globaux ou transnationaux comme par exemple les firmes ou les réseaux terroristes qui véhiculent certes une représentation du monde mais qui se donnent surtout les moyens d’assurer multi-localisation et proximité.
La firme globale détient son siège social dans une ville, les unités de production dans différentes localités et le secteur de la conception ou du design dans une localisation autre. Cette répartition géographique éclatée repose sur des échanges et des liens étroits et quotidiens associant Internet.
Si avec le terme globalization il n’est pas vraiment question du monde et encore moins de territoire-monde chez les Anglo-Américains, en France la mondialisation apporte un nouvel éclairage sur le monde.
Il est question de nouvelle échelle géographique à laquelle il convient désormais de se référer pour expliciter les processus sociaux, économiques et culturels. Pour les géographes français il y aurait même un emboîtement des échelles qui inclurait le local, le régional, le national, l’Europe, le continental et le monde.
Le monde devient en quelque sorte un référentiel spatial. Les chercheurs partagent, en outre, l’idée d’une continuité historique remontant à la mondialisation prémoderne au moment de la découverte du monde.
En s’appuyant sur les travaux de Fernand Braudel, l’historien Patrick Boucheron souligne la vision du monde véhiculée par les Européens dès le XVème siècle. Il y aurait ainsi une continuité historique au cours des siècles même si le principe du basculement du monde est pris en compte du fait que l’Europe n’assurerait plus une position centrale. Au 21ème siècle, le monde serait post-colonial.
L’intérêt de l’usage de globalization et de globalisation provient notamment du fait que penser le global autorise à prendre en compte le local. Saskia Sassen qui s’est inspirée des travaux sur l’organisation des entreprises des années 1980 a été la première à associer l’adjectif global à la ville.
Elle a ainsi démontré qu’avec l’accélération des flux d’échanges notamment des capitaux, l’avènement de l’économie globale s’organisant a priori dans les flux était paradoxalement ancrée dans les grandes villes dont New York. Son analyse a également conduit à penser le progressif processus de dénationalisation des villes au profit de l’interférence avec le global.
Pour évoquer cette tension local-global, Olivier Mongin utilise l’expression « la ville des flux » et Michel Lussault celui de « monde urbanisé ». Le global présente également l’avantage de faire référence explicitement aux flux migratoires.
S. Sassen établit d’ailleurs une relation entre les flux des capitaux et les flux migratoires, ce qui permet de mettre en évidence les différentes facettes de la ville globale et de ne pas perdre de vue l’importance du transnational dans la vie quotidienne des individus et des entreprises.
Les Anglo-Américains n’utilisent jamais le terme de worldization et rarement celui deworld pour évoquer les évolutions contemporaines. Mais comme toute généralisation risque d’être excessive, je citerai deux exceptions.
L’expression world city a été utilisée dans un célèbre article de John Friedmann qui en 1986 a établi une relation entre étroite entre la ville et le world system d’Immanuel Wallerstein.
La théorie duworld system différencie le first world du third world et suggère une progressive intégration du second dans le premier au fur et à mesure de la diffusion et de l’introduction du régime capitaliste dans les pays sous-développés.
Pour Friedmann la ville dans le premier monde rassemblerait de plus en plus d’ individus issus du Tiers monde et il annonçait la montée des inégalités sociales. Plus récemment le politologue Benjamin Barber - dont le dernier ouvrage intitulé Si les maires gouvernaient le monde a été largement discuté dans les médias aux Etats-Unis -, a associé les maires à des acteurs globaux et reconnaissait leur place et leur importance dans les relations internationales notamment pour ce qui concerne le changement climatique.
Bien que non exhaustive, cette note qui met en scène des auteurs français et anglo-américains permet de souligner combien les termes « mondialisation » et « monde » qui sont souvent associés en France, ne le sont pas vraiment dans d’autre contexte comme dans le monde anglo-américain.
Elle indique que les Anglo-Américains convoquent moins souvent la référence au monde qui pour eux relèverait principalement de la géopolitique. Le terme globalization ne véhiculant pas vraiment une idée de monde et encore moins de continuité historique à travers les siècles.
En guise de conclusion, je soulignerai le contraste ou encore l’écart entre nos représentations de la mondialisation et ceux des Anglo-Américains. La mondialisation est centrée sur le principe d’une continuité historique et sur l’idée et l’idéal d’un monde.
Ce monde est certes post-colonial et urbanisé mais il n’enregistre pas de rupture alors que pour les Anglo-Américains, la phase historique que l’humanité traverse est considérée comme un processus inédit. Ces derniers reconnaissent notamment l’agressivité des acteurs globaux dont le mode de fonctionnement repose principalement sur la révolution numérique.
fonte: DiploWeb
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