Justin Vaïsse, « Barack Obama et sa politique étrangère (2008-2012) »
DiploWeb
par Vicent Satge
9 octobre 2014
Présentation d’un classique de géopolitique : Justin Vaïsse, « Barack Obama et sa politique étrangère (2008-2012) », Éd. Odile Jacob, octobre 2012.
Alors que les Etats-Unis s’engagent une nouvelle fois au Moyen-Orient, cet ouvrage permet de séquencer finement la politique étrangère de B. Obama, en différenciant l’intention de départ de B. Obama I et les actions de B. Obama II.
AVEC « Barack Obama et sa politique étrangère », Justin Vaïsse se livre à un exercice périlleux. Il le reconnaît dès les premières pages de son ouvrage. « Sans le recul habituel de l’historien, l’interprétation est évidemment difficile [...] d’autant plus difficile que dans le cas de Barack Obama que ce dernier a revendiqué le pragmatisme comme marque de fabrique en politique étrangère.. »
Le défi est néanmoins relevé et amène l’auteur à décrire méticuleusement chaque facette du premier président afro-américain des Etats-Unis lors de son 1er mandat. On y découvre ainsi tour à tour un président soucieux de se désengager du Moyen-Orient, de réinvestir les institutions multilatérales, de mettre en avant la diplomatie et les droits de l’Homme mais sans pour autant renier la guerre contre le terrorisme ou la prééminence des intérêts stratégiques des Etats-Unis.
À l’image de son objet d’étude, Justin Vaïsse a plusieurs cartes dans son jeu. Diplômé de Sciences Po, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, il est en outre agrégé et docteur en histoire.
Il a dispensé des cours à l’Institut d’études politiques de Paris ainsi qu’à l’Université Johns Hopkins avant d’être nommé directeur de recherche à la Brookings Institution (un groupe de réflexion américain). Depuis le 1er mars 2013, il dirige le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du Quai d’Orsay.
S’il est le plus récent, Barack Obama et sa politique étrangère n’est pas l’ouvrage de Justin Vaïsse le plus remarqué outre-Atlantique. Il a en effet écrit Washington et le monde.
Dilemmes d’une superpuissance (avec Pierre Hassner) en 2003 et surtoutHistoire du néoconservatisme aux États-Unis particulièrement acclamé par l’intellectuel Francis Fukuyama. Dans Barack Obama et sa politique étrangère, il s’agit d’analyser autant la politique étrangère que l’homme qui la mène.
On peut dès lors distinguer trois grands mouvements dans le propos de l’auteur. Ainsi, dès le début de son ouvrage, Justin Vaïsse s’intéresse à la manière dont Barack Obama renouvelle la manière de diriger les affaires mondiales et sa propre administration.
Il détaille ensuite les avatars qu’incarne Barack Obama, souvent de manière imparfaite : le diplomate, le libérateur ambivalent, « Obama le terrible »... Enfin, à la lumière de ses succès et de ses échecs, il va tenter de trouver une ligne directrice à la politique étrangère d’Obama.
Lorsque Barack Obama devient le 44e président des Etats-Unis le 4 novembre 2008, il arrive à la tête d’un pays très affaibli sur la scène internationale.
« L’Amérique de Georges W. Bush est vue par le reste du monde comme unilatérale, hégémonique, intransigeante, trop prompte à faire la leçon aux autres pays et à recourir à la force, trop hypocrite dans sa promotion sélective de la démocratie. »
Parallèlement à ce déclin, les rivaux (entendre les pays émergents, la Chine en tête) croient leur heure être arrivée. Le monde post-américain est-il advenu ?
La question semble se poser alors que deux éléments inédits semblent entraver la puissance américaine : la forte dette publique et une paralysie politique due à une radicalisation de la droite américaine avec le Tea Party.
Pour Barack Obama, sauvegarder le rang des Etats-Unis passe par une reconnaissance de l’essoufflement américain. « Le leadership américain que je cherche à incarner reconnaît l’émergence de pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil.
C’est un leadership qui reconnaît aussi nos limites en termes de ressources et de capacités ». Quels sont les axes de ce nouveau leadership ?
Il s’agit en premier lieu de reconstruire le soft power américain. Dans les jours suivant son investiture, Barack Obama s’attaque aux dérives de la guerre contre le terrorisme.
Outre l’engagement qu’il prit sur la fermeture de Guantanamo, il enlève à la Central Intelligence Agency plusieurs de ses outils d’interrogatoire extrêmement controversés (prisons secrètes et méthodes d’interrogatoires « musclées »).
Par ailleurs, son vice-président, Joe Biden, ouvre un autre front le 7 février 2009 lors du Forum de Munich sur la sécurité en mentionnant tour à tour la main tendue à l’Iran et le reset avec la Russie. Enfin, Barack Obama enfonce le clou lorsqu’il prononce le discours du Caire le 4 juin 2009 afin de rapprocher le Moyen-Orient des États-Unis.
En second lieu, Barack Obama s’évertue à modifier le processus de décision au sein de la Maison Blanche. Il redessine de fait le leadership présidentiel. Selon la représentation définie par James Mann, plusieurs cercles concentriques se forment autour de lui.
Le premier, le plus influent, est celui dit des « obamiens », soient les conseillers d’Obama (anciens assistants du Sénat ou s’étant imposé lors de la campagne). Le second et le troisième cercle ne sont consultés que pour avis et servent de caution technique ou militaire à Obama.
On y trouve tout d’abord les outsiders, tels que l’amiral Dennis Blair, qui, chargé de la direction du renseignement, sert à pallier le manque d’expérience du jeune président. Ensuite se situent les rivaux, que l’on cherche à ménager du fait de l’influence politique qu’ils détiennent : Joe Biden et Hillary Clinton en font évidemment partie.
On a au final un système relativement centralisé autour d’Obama et des « obamiens ». « C’est donc un système moins dysfonctionnel que sous Georges W. Bush, où les luttes d’influence étaient très vives et où le vice-président pouvait court-circuiter le processus, sans que les conseillers à la sécurité arrivent à y mettre de l’ordre. »
Pour mieux reconstruire son leadership à l’extérieur, Barack Obama commence par réorganiser son leadership à l’intérieur.
Obama apparaît tout d’abord comme un président diplomate : la main tendue à l’Iran et le reset avec la Russie sont autant d’initiatives qu’il lance d’emblée.
Pour la République islamiste, si Barack Obama mène une véritable offensive de charme, la Révolution verte de juin 2009 va mettre fin à tous ses espoirs, le régime ne souhaitant pas se montrer conciliant aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Alors même qu’un rapport de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) révèle en 2011 la finalité militaire du programme nucléaire iranien, la main tendue est remplacée par un poing fermé.
Le reset connaîtra un destin similaire, en étant entretemps plus productif (avec notamment la signature du traité New Start le 8 avril 2010, réduisant l’arsenal militaire de chacun à 1550 têtes nucléaires).
La lune de miel prend fin avec le retour au pouvoir de Vladimir Poutine et surtout la guerre en Syrie. Obama, en tant que diplomate, semble avoir peu de succès à son actif.
La figure du libérateur ambivalent lui sourit plus, en particulier lors du Printemps arabe. Obama est libérateur lorsqu’il appelle assez vite le dirigeant égyptien Hosni Moubarak à quitter le pouvoir, celui-ci étant pourtant un grand allié des Etats-Unis (et reçoit en conséquence une aide militaire annuelle d’environ 1,3 milliards de dollars).
Son ambivalence transparaît véritablement lorsqu’il laisse la répression se dérouler sans lever le petit doigt, comme au Bahreïn. En effet, un changement de pouvoir (des Sunnites vers les Chiites) serait aussi dommageable pour l’Arabie Saoudite que pour les États-Unis eux-mêmes, le quartier général de la Ve flotte américaine se situant à Manama.
Diplomate malheureux et libérateur ambivalent, Obama est enfin un chef de guerre aux méthodes pour le moins controversées. Ainsi est-ce le cas concernant les frappes de drone : « au moment du discours du Prix Nobel à Oslo le 10 décembre 2009, il avait déjà autorisé un plus grand nombre de frappes que Georges W. Bush pendant ses huit années de présidence »
Si ces outils permettent d’intervenir discrètement et de décapiter des mouvements terroristes (voire de les décimer), leur efficacité apparaît douteuse sur le long terme, tant elles empêchent de recueillir, notamment par le renseignement humain, des informations sur les prochains attentats susceptibles d’être menés.
Outre les drones, Obama peut et va utiliser activement deux autres outils. Tout d’abord viennent les forces spéciales : Emblématiques dans leur assaut victorieux contre le refuge d’Oussama Ben Laden, leur fréquence est multipliée par dix de 2008 à 2010, avec un taux de réussite extrêmement élevé.
Ensuite, le programme de cyber-attaques est poursuivi notamment contre Téhéran (« Olympic Games ») visant à ralentir ses progrès dans l’obtention de l’arme nucléaire.
L’attribution d’une ligne de politique étrangère à Barack Obama semble ainsi constituer un obstacle infranchissable. Néanmoins, en y regardant de plus près, une tendance, celle du Pivot, semble se dégager.
Cette dernière désigne communément le redéploiement d’efforts diplomatiques et militaires du Moyen-Orient vers l’Asie. C’est le cas lorsque Barack Obama désengage les forces américaines d’Irak et d’Afghanistan et, en contrepartie, installe une nouvelle base de Marines à Guam, à Darwin en Australie, organise des alliances militaires avec les Philippines, le Vietnam et Singapour et prévoit, à l’horizon 2020, que 60% de ses forces navales soient positionnées dans le Pacifique (contre 50% actuellement).
Justin Vaïsse donne pour sa part une définition plus large du Pivot : « pivot non pas seulement du Moyen-Orient vers l’Asie, mais aussi des « vieilles puissances » européennes vers les puissances émergentes (ou tout au moins du monde du G8 au monde du G20), des questions militaires vers les questions diplomatiques et géoéconomiques, de l’unilatéralisme vers la coopération et l’engagement ».
Il est vrai que l’administration Obama esquisse un retour diplomatique sur la scène asiatique au début du mandat d’Obama, ce que Justin Vaïsse appelle la stratégie de Jakarta. Les enceintes de dialogue du Pacifique sont investies au cours de l’année 2011 avec l’ASEAN (où est nommé un ambassadeur), l’APEC à Hawaï ou encore le Sommet de l’Asie orientale.
Par ailleurs, des gestes de bonne volonté en faveur des émergents vont notamment se manifester au sommet de Pittsburgh en 2009 : il y est convenu que les questions d’économies internationales seraient désormais traitées non plus par le G7 mais par le G20.
Le Pivot semble constituer une ligne de politique étrangère propre au premier mandat d’Obama. Pour autant, il va rapidement perdre de sa cohérence.
Très vite, la coopération avec les émergents va se détériorer, que ce soit avec Pékin à propos de son allié Nord-coréen ou avec le Brésil et la Turquie en 2011 au sujet du dossier nucléaire iranien. Le G7 redevient dès lors l’enceinte privilégiée des États-Unis pour parler de la gouvernance mondiale.
Ensuite, l’aspect diplomatique qui était sensé éclipser l’obsession militaire de l’administration Bush prend du plomb dans l’aile lorsque la relation avec la Chine devient moins coopération (engagement) qu’endiguement (containment). En témoigne autant la présence militaire des États-Unis renforcée que le Trans-Pacific Partnership, un accord de libre-échange qui inclut la plupart des pays du Pacifique mais exclut la Chine.
Au final, que reste-t-il du Pivot ? Justin Vaïsse estime que cette stratégie s’altère sans véritablement disparaître. De fait, elle reste sans doute une tendance majeure du premier mandat de Barack Obama qui, décidément, ne se laisse enfermer dans aucune doctrine particulière.
Justin Vaïsse affirme ainsi en toute logique : « Chacun projette en Obama ce qu’il veut y voir. C’est, après tout, un formidable avantage pour un homme politique.
Ainsi au bout de quatre ans a-t-il des atouts à faire valoir auprès de l’aile gauche du Parti Démocrate, des colombes, voire des isolationnistes (le retrait complet d’Irak, le retrait planifié d’Afghanistan, la baisse du budget de la défense) comme auprès des interventionnistes libéraux (la guerre en Libye, l’abandon rapide de Moubarak en Egypte), des multilatéralistes (le G20, le réinvestissement dans le Conseil des droits de l’homme de l’ONU), des réalistes (le reset des relations avec la Russie, le soutien préservé à Bahreïn et à l’Arabie Saoudite) et même des faucons, notamment pour répondre aux accusations de faiblesses lancées par les Républicains (le surge en Afghanistan, le raid victorieux contre Ben Laden, la guerre par drones interposés) ».
Obama, inclassable, est au final aussi bien « conséquentialiste » que « non-idéologue pratiquant » ou encore « pragmatique ».
*
Barack Obama et sa politique étrangère (2008-2012) est un ouvrage appréciable du fait de sa précision. S’appuyant sur de nombreuses sources, Justin Vaïsse nous permet de découvrir en détail la politique étrangère du premier mandat de Barack Obama.
Par ailleurs, au-delà d’une simple description factuelle, l’auteur propose des pistes d’explication : sur le fonctionnement de l’administration d’Obama, sur l’homme lui-même, enfin et surtout sur les lignes de politique étrangère qu’il a tour à tour empruntées.
Dans la conclusion, il nous est proposé de lister les échecs et demi-échecs ainsi que les succès et quasi-succès du Président Obama dans politique étrangère. Sur tous ces aspects, l’ouvrage est utile et même précieux.
Alors certes, l’ouvrage apparaît parfois assez peu accessible à un public peu initié. En effet, que ce soit la richesse du propos, émaillé de références, ou sa complexité dans l’analyse, la lecture en devient plus ardue à certains passages.
Elle reste néanmoins facilitée par un propos et des raisonnements très clairs et assurément plaisants à parcourir.
fonte: DiploWeb
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