The Conversation
Oliver Stuenkel
22 jan 2017
L’investiture de Donald Trump vendredi 20 janvier illustre parfaitement l’ampleur d’un phénomène qui pourrait bien donner le ton à la politique internationale dans les années à venir : la montée en puissance de l’Homme fort.
Le terme est utilisé de façon assez générale pour décrire les candidats au profil autoritaire, très portés sur l’ordre et la sécurité, déterminés à affaiblir les institutions et à concentrer le pouvoir dans l’exécutif.
Ces dirigeants ont tendance à rejeter le pluralisme, soit l’idée même que le pouvoir politique est distribué entre plusieurs acteurs, gouvernementaux et non-gouvernementaux. À la place, ils se proclament souvent comme seuls et uniques représentants du « peuple ».
Recep Tayyip Erdoğan en Turquie, Vladimir Poutine en Russie et Nicolás Maduro au Venezuela sont des exemples classiques d’hommes forts.
Interpellant facilement leurs opposants pour les qualifier d’antipatriotiques, ils les attaquent en les accusant de servir des « intérêts étrangers ». Ces politiciens entretiennent ainsi avec soin et constance une forme morale d’antipluralisme.
Les hommes forts se repaissent de la polarisation du pouvoir : une fois élus, les trois dirigeants cités ont décrit l’opposition comme illégitime, immorale et ont qualifié ses membres d’« ennemis du peuple ». Maduro a même appelé ceux qui ont voté contre lui des traîtres.
Cela ne vous rappelle-t-il pas un certain homme politique américain récemment élu ? Indice : en novembre 2016, Donald Trump a fait référence aux « millions d’électeurs illégaux » afin d’expliquer pourquoi il a perdu le vote populaire.
Bien sûr, certains hommes forts sont plus autoritaires que d’autres, et un cadre institutionnel ferme peut limiter leurs champs d’action.
Trump a-t-il fait son entrée dans le grand club des populistes autoritaires, et donc aux côtés de Poutine et d’Erdoğan ? Nous le découvrirons bientôt.
Une année de défis pour la démocratie
2017 verra donc l’arrivée au pouvoir d’hommes forts à Washington, Budapest, Moscou, Manille et Caracas. Que signifie cette situation, inédite dans l’histoire récente, pour la scène politique internationale ?
Avant tout, elle symbolise une profonde crise de la diplomatie, avec un risque réel de contagion. Sous leurs avatars les plus extrêmes, comme les leaders autoritaires du Venezuela et de la Russie, l’organisation d’élections libres n’est même plus nécessaire puisque ces présidents savent déjà ce que veut vraiment « le peuple ».
Mais les hommes forts peuvent être aussi se montrer très combatifs électoralement quand les électeurs ont le sentiment que les acteurs politiques traditionnels ne répondent pas à leurs attentes, comme nous l’avons vu dans le cas des Philippines.
La victoire de l’élan électoral populiste, illustré par le Brexit et l’élection de Trump, n’a pas eu lieu dans de petits pays à la visibilité limitée, mais, au contraire, s’est ancrée dans les deux plus anciennes et plus expérimentées des démocraties contemporaines. Or, ces dernières, malgré leur nombreux écueils, ont joué un rôle crucial dans l’exercice démocratique à travers le monde.
Ainsi, l’une des conséquences de la conquête populiste de la Maison-Blanche marquera le déclin de l’influence américaine.
D’ailleurs, l’élection de Trump a déjà eu un impact négatif sur le soft-power américain. Les États-Unis sont désormais moins capables d’attirer et de coopter (plutôt que de s’imposer par la force), affaiblissant la légitimité du pouvoir démocratique ailleurs dans le monde.
Cette tendance se révélera particulièrement vraie si Trump s’entête dans certaines de ses promesses de campagne, notamment dans son projet de discrimination à l’encontre des personnes de confession musulmane.
À mesure que se renforceront et se développeront les mouvements et courants islamophobes dans les démocraties occidentales, les États-Unis, parmi d’autres, perdront toute légitimité dans leurs critiques des gouvernements chinois, birmans et d’autres, sur leur façon de traiter les minorités religieuses.
Sous le gouvernement Trump, il est fort probable que les États-Unis dépensent moins d’argent en soutien de différents groupes de défense des droits de l’homme et pour la démocratie.
S’il est sain et légitime de critiquer la politique étrangère américaine sur de nombreux dossiers, il faut également reconnaître l’investissement massif de Washington – près de 10 milliards de dollars par an depuis dix ans, auprès d’ONG, de journalistes et de groupes d’opposition au sein de régimes dictatoriaux à travers le monde.
Trump lui, a affirmé très clairement qu’il ne voit aucun intérêt à défendre ou promouvoir la démocratie à l’étranger, et il a d’ailleurs vanté les mérites d’hommes forts tels que Vladimir Poutin, Viktor Orbán et Rodrigo Duterte. Ces deux prises de position réduiront considérablement les possibilités de pression sur les gouvernements autoritaires dans le monde.
Vérité, pluralité et stabilité en voie de disparition
Le retour à l’échelle mondiale des hommes forts a coïncidé avec l’ère de la post-vérité.
Cette tendance menace l’avantage crucial des démocraties par rapport aux régimes autoritaires : l’usage de données disponibles, transparentes afin de formuler les politiques publiques et de bénéficier de débats justes afin d’élire des représentants et dirigeants bien informés et compétents. Elles sont certes bruyantes, mais au final relativement modérées et productrices d’une certaine stabilité.
La prolifération de fausses informations présente également un nouveau défi pour les démocraties.
Les organes de presse, luttant pour s’adapter à l’ère digitale, n’ont pas les moyens de financer le journalisme d’investigation, notamment au niveau local. Pendant ce temps, les réseaux et médias sociaux contribuent à la fragmentation sociale. Aujourd’hui, seules quelques sources d’information concentrées diffusent auprès d’une large proportion de la société.
En résulte un environnement marqué par la méfiance, véritable cadeau du ciel pour les hommes forts de l’ère post-vérité tels que Trump ou Poutine.
Les démocraties tendent également à embrasser la diversité et la mondialisation, se faisant les chantres de l’intégration de migrants du monde entier. Dans la plupart des démocraties occidentales, le pourcentage de la population née à l’étranger est resté constant, aux environs de 10 % depuis plusieurs années, au Canada et en Australie, cette proportion atteint même les 20 %.
Le modèle de gouvernance de l’homme fort repose sur la division et la peur : Trump comme Poutine soulignent constamment les dangers que représentent l’Autre et l’étranger, qu’il s’agisse des « bad hombres » du Mexique pour Trump ou des ONG russes financées par l’étranger pour Poutine. La plupart des observateurs s’attendent désormais à ce que les États-Unis se retirent des accords d’échanges bilatéraux engagés et même des alliances en terme de coopération militaire et de défense, réduisant d’autant plus le rôle des États-Unis sur la scène internationale.
Les démocraties sont désormais perçues comme des régimes plus créatrices d’instabilité économique que les régimes autoritaires, un fait impensable il y a quelques années. De plus, si l’on considère que les sondages ont failli à prédire le Brexit et Trump, les marchés seront désormais encore plus volatiles à chaque élection.
En soit, il s’agit d’une mauvaise nouvelle : les investisseurs ont avant tout besoin de stabilité et de prévisions crédibles. En même temps que l’ère de l’homme fort, l’année 2017 risque bien d’être celle d’une grande instabilité économique aux conséquences désastreuses.
Ce scénario, s’il se fige dans la durée au sein des démocraties, risque de mettre en danger l’essence même de la gouvernance démocratique, d’un point de vue moral, stratégique et économique.
Trump et Poutine : un couple heureux ?
Trump ne connaît pas Poutine, avait célèbrement déclaré dans un débat en octobre 2016 le président américain en devenir.
Même s’ils devenaient amis, cela ne garantirait en rien une relation stable entre les deux pays. L’idée qu’une amitié personnelle entre deux hommes forts produirait une alliance forte est complètement fausse. Cette dernière dépend d’abord de leur capacité à s’entendre sur des accords institutionnels, lesquels sont en général bien plus pérennes.
Erdoğan était si proche du syrien Bashar Al Assad que leurs familles partaient en vacances ensemble. Ce qui ne les a pas empêchés de se déchirer et de produire l’une des inimitiés les plus importantes du Moyen-Orient.
Il semble qu’actuellement la Russie pourrait grandement bénéficier d’un changement d’air politique aux États-Unis. Trump a d’ailleurs parlé en termes très élogieux de son homologue russe, en mentionnant à peine l’immiscion du Kremlin dans les élections américaines.
Mais l’un pourrait très rapidement lâcher l’autre.
Bien que les hommes politiques savent généralement séparer leurs sentiments personnels de leurs actes politiques, Trump et Poutin, vains et endurcis l’un comme l’autre, seront certainement peu enclins au compromis ou à faire machine arrière si leur égo était menaçé.
De telles incertitudes, sans précédent, présagent de mauvais augures pour la croissance. Cependant, pour les populistes du monde entier, la présence d’hommes forts à Washington et à Moscou est un signal sans équivoque.
L’élection présidentielle en France, où Marine Le Pen est une candidate pressentie déterminera si 2017 est vraiment l’année des hommes (ou de la femme) forts. Sa victoire sonnerait le glas de l’Union européenne. Tandis que les électeurs français et allemands se préparent à voter, les enjeux n’ont jamais été aussi élevés.
fonte: The Conversation
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